On se comprend… !

Parler une langue sous-entend nécessairement la capacité à comprendre cette langue. Une évidence, me direz-vous. Tentons donc de garder cet énoncé en tête pour réfléchir sur les besoins d’un enfant dont les phrases produites ne sont pas tout à fait celles attendues pour l’âge… le choix de stratégies pour l’aider en sera différent.

Poussons l’évidence

Je ne parle pas bengali. La raison en est fort simple : je ne comprends rien de cette langue à laquelle je suis si peu exposée. Je parle simplement créole, langue que je comprends un peu, surtout si le contexte supporte ce qui est dit. Je parle couramment l’anglais, comprenant avec aisance cette langue. Comment se fait-il alors je ne ris pas à grands éclats lorsque j’assiste à un spectacle de Just For Laugh, contrairement à celui de Juste Pour Rire qui me fait rigoler? Les humoristes anglophones seraient-ils moins drôles? Ou est-ce plutôt la subtilité de la langue, avec ses jeux de mots, doubles sens et expressions culturelles, qui m’échappent, utilisés en l’absence de contexte visuel de surcroît? Je me permettrai donc de vous dire en ces mots contestables: la compréhension d’une langue n’est pas une « switch on and off »!!! Une difficulté de compréhension n’est pas observée uniquement chez les enfants qui ne comprennent jamais rien. Et, à l’opposé, un enfant ne peut pas toujours tout comprendre ce qui est dit. La compréhension est graduelle, peut dépendre du contexte, de la complexité des mots, de celle des structures de phrases, de la quantité d’informations dans la même consigne, de la connaissance du sujet traité. Et tant encore.

Or donc, lorsque j’évalue le langage d’un enfant, bien que la raison pour laquelle on me consulte soit des difficultés à prononcer certains sons ou à utiliser correctement différentes phrases, je me questionne d’abord sur les habiletés à comprendre. Et les parents sont souvent surpris des observations que je les amène à faire.

Comprendre avec les oreilles, et non avec les yeux

Entendons-nous sur ce qu’est la compréhension du langage. Comprendre, c’est se faire une image mentale à partir de ce que l’on entend. Pour comprendre, il est évidemment nécessaire d’entendre. Ça demande également de faire appel à des connaissances, au vocabulaire connu, à la mémoire; ça requiert d’utiliser la logique, de tenir compte du contexte, d’être attentif et concentré.

De nombreuses affirmations me sont avancées par les parents et éducatrices en milieu de garde pour appuyer le fait qu’un enfant comprend bien. Questionnons certaines d’entre elle. 

« Mon fils de 18 mois peut ouvrir la télévision avec la manette  sans mon aide» : ça me dit qu’il comprend l’usage de cet objet (contexte), pas nécessairement la consigne que je n’ai pas eu à lui formuler…

« Elle jette à la poubelle ce que je lui demande lorsque je lui tends l’objet» : j’en déduis qu’elle sait où ranger cet objet sale ou maintenant inutile et connait l’emplacement de la poubelle (contexte), comprend le geste lorsque l’objet lui est pointé. Je ne peux pas conclure que seuls les mots auraient suffit… Mais elle comprend avec ses yeux, c’est certain.

« À qui est cette pelle », dis-je en pointant une image. « À moi », de me répondre Raphaël : j’en déduis qu’il ne comprend que partiellement cette question… la réponse associée étant toujours la même dans tous les contextes soumis, c’est-à-dire « à moi »!

« Range le camion sur la tablette » : tous ces mots ne sont pas nécessairement compris si l’habitude (le contexte) est de toujours ranger ce camion sur la tablette… « Range le camion en-dessous de la table » : pas très habituel, peu prévisible. L’enfant doit alors se baser uniquement sur les mots pour comprendre. Ça fait du sens?

La situation est la même dans l’emploi des consignes pourtant compliquées mais très utilisées dans la vie de tous les jours, comportant une séquence d’action à réaliser, dont l’ordre des mots entendus n’est pas nécessairement celui dans lequel les actions ont à être effectuées. Ainsi, « Avant de venir manger, va laver tes mains » : laver ses mains est le premier geste à exécuter même s’il est entendu en 2e. L’enfant peut tout de même déduire du contexte la bonne séquence, voyant ses mains sales, utilisant sa logique, sachant que c’est la routine habituelle, … « Avant de me donner la girafe donne-moi le chameau » : Quelle est la logique? La routine habituelle? Impossible de statuer. Comprendre cette consigne repose donc uniquement sur ce qui a été entendu.

Invitation

Je vous invite donc à observer ce que comprend votre enfant. Sortez du contexte, de l’habituel. Donnez-lui des consignes absurdes, inattendues, non-prévisibles. Demandez-lui de rapporter 1 item, versus 2 items voire 3 items et voyez-en l’effet! Arrivera-t-il à réaliser les 2 actions voire les 3 actions que vous lui soumettrez dans la même phrase? Testez sa compréhension des mots d’espace (loin, proche, au coin, au milieu, à côté, entre, …) par l’intermédiaire de jeux de cachette. Utilisez ces 4 consignes de temps dans un contexte de jeu symbolique: « avant de faire ceci fais cela » ou « après avoir fait ceci fais cela » ou encore « fais ceci avant de faire cela » et finalement « après avoir fait ceci fais cela ». C’est à y perdre son latin, non?!?

Pas de triche

Pour observer la compréhension du langage, il faut réduire les possibilités de comprendre par les yeux. Évitez donc de pister votre enfant par vos gestes, votre intonation, vos expressions du visage. Ce serait tricher.

Non en fait, ce sera le thème des prochaines chroniques, puisque ce sont les trucs de base pour supporter le développement de la compréhension du langage; et ceux-là même employés pour améliorer les sons prononcés et les phrases dites par un enfant.

Amusez-vous bien!

France Taillon, orthophoniste

Un MERCI tout particulier à M. Pascal Tessier et son équipe d’Éducathèque, pour qui cet article avait initialement été rédigé, et qui autorise la parution de cette chronique.


Laisser un commentaire